Une réflexion proposée par
le Rabbin Mendel SAMAMA
Quelle est la différence entre cette nuit et les autres nuits ?
Ce Ma Nichtana qui ouvre le cœur de la Hagadda peut se décliner par une autre question :
« Quelle est la différence entre la fête de Pessah et les autres fêtes » ?
Chaque fête du calendrier cherche à reproduire la mise en scène initiale. À savoir, à Hanoucca nous marquons le miracle de la fiole d’huile en allumant des flammes. À Souccot nous construisons la Soucca avec un Ska’h dont la vocation est de reproduire (avec nos moyens) la protection des Juifs dans le désert par les nuées. Ainsi, nous imitons l’origine de la fête. Car l’objectif d’une fête n’est pas la commémoration d’une date ou se souvenir d’un événement, mais bien de vivre l’événement.
Le Soir du Seder nous sommes également assis en famille et nous devons manger l’agneau pascal, la Matsa et le Maror. C’est exactement la même cérémonie que les Hébreux ont pratiquée en Égypte en l’an 2448. Mais avec certaines différences.
Cette reproduction imparfaite des faits pousse le Talmud (Pessahim 96a) à se poser une question : « Quelle est la différence entre le Pessah de la sortie d’Égypte et celui que nous célébrons aujourd’hui ? ». Mis à part évidemment l’agneau que nous ne pouvons pas sacrifier de nos jours à cause de l’absence temporaire du Temple.
La Tossefta (Pessahim Chapitre 8.7) énumère l’une des différences qui attire particulièrement notre attention : Lors du Pessah de la sortie d’Égypte, chacun devait égorger son agneau à la maison, alors que lors du Pessah des générations suivantes il fallait le faire uniquement dans le Temple, puis le manger à la maison.
La question que nous pouvons nous poser légitimement est : pourquoi la Torah ne nous a pas demandé de pratiquer la fête de Pessah à l’identique, comme le premier Pessah ?
Que signifie pour nous aujourd’hui cette distinction ?
Quel est le cœur constitutif de ce peuple ? Et quel est son objectif ?
L’œuvre majeur du peuple juif déjà dans le désert était la construction du Tabernacle, un lieu dont l’objectif n’est autre que « Ils Me feront un sanctuaire afin que Je demeure parmi eux » (Exode 25.8). Certes, le sanctuaire était le cœur battant de la Divinité dans le peuple juif, mais la finalité est qu’Il doit résider parmi eux. D.ieu ne veut pas résider uniquement dans ce sanctuaire. Il souhaite résider en chacun. Faire de chaque résidence de ce peuple un lieu où Il réside.
Cet élément explique pourquoi le Judaïsme n’est pas centré sur le lieu de culte, l’essentiel des Mitsvot qui accompagnent notre quotidien ne sont pas à pratiquer à la Synagogue mais dans nos maisons. À commencer par la Mezouza, la Cacherout, l’éducation, la vie familiale etc.
La Synagogue alimente l’énergie et le dynamisme de la vie juive, mais sa mise en œuvre est la résidence familiale.
C’est là que D.ieu veut habiter, c’est dans la cellule de la famille et son intimité que la puissance divine trouve sa vocation et son exaltation.
La réalisation du projet de la sortie d’Égypte ne peut se faire sans l’investissement dans la construction d’un environnement favorable à la mise en pratique de la demeure divine de l’individu. Ainsi, le premier Pessah dont le sacrifice de l’agneau pascal marquait une rupture avec l’environnement idolâtre de l’entourage égyptien – puisque l’agneau était un symbole de la divinité égyptienne et le fait de le sacrifier était une violation des codes – il fallait marquer les portes des maisons juives avec le sang de ce sacrifice afin d’empêcher l’ange destructeur d’y pénétrer. Ce sang protecteur indiquait la frontière entre la culture de l’Égypte et la maison juive.
Certes, la maison reste géographiquement située dans un territoire égyptien, mais il y a une frontière qui empêche l’influence extérieure de franchir la porte de cette maison. Cette maison peut alors devenir un édifice divin.
Cette obligation de sacrifier à la maison et de marquer les portes de la maison avec ce sang était unique au premier Pessah, car c’est un acte constitutif de la vocation du peuple juif.
En revanche, une fois le Tabernacle ou le Temple construits il fallait faire le sacrifice de Pessah dans ces lieux puis le ramener à la maison pour le consommer. Il y a là comme un mouvement perpétuel à faire vivre dans notre quotidien.
Nous constatons que notre maison n’a pas la même intensité spirituelle que la Synagogue, mais c’est pourtant dans notre vie profane qu’il nous faut trouver la lumière divine. C’est ainsi que nous organisons chaque jour notre agenda : le matin nous allons à la Synagogue pour vivre la force de la prière collective puis nous vaquons à nos occupations, non pas en laissant l’énergie de la prière à la Synagogue, mais en la portant avec nous à chaque instant de la journée pour illuminer notre journée.
C’est alors que nous sommes au cœur de la réalisation du projet de la constitution du peuple juif.
Nous remarquons qu’il y a là une complémentarité des mouvements avec celles des Pessah.
Le premier Pessah de la sortie d’Égypte nous indique notre devoir initial de sacraliser notre foyer en sachant mettre des frontières entre le monde et notre maison, en réunissant l’ensemble de la cellule familiale autour du projet commun.
Puis, les Pessah suivants nous indiquent le mouvement de notre quotidien, en faisant vivre notre vie avec l’énergie que nous allons puiser dans les lieux où la divinité s’exprime avec une plus grande intensité afin d’alimenter notre foyer avec une énergie spirituelle nouvelle.
Ce n’est pas pour rien que la fête de Pessah est une fête si particulière. Sa façon de nous faire vivre l’événement se produit par sa capacité à nous faire répéter année après année les mêmes choses. Nos ancêtres mangeaient de la Matsa, nous en mangeons également. Ils mangeaient du Maror, nous en mangeons aussi. Ils étaient réunis par famille, nous aussi nous restons fêter en famille.
Car la transmission de la mission centrale de notre peuple ne peut pas se faire dans un autre lieu que celui où l’enfant ose poser des questions et les parents y répondent. Le lieu qui protège et qui offre un cadre épanouissant.
C’est cet investissement qui est le garant de la réussite du projet qui nous a été confié.
Je vous souhaite un Pessah Casher et joyeux.
Retrouvez cet article de réflexion dans votre magazine Échos&Unir # 319 – Pessah 5783