Hanoucca en Alsace au mi-temps du siècle dernier

Un article proposé par 

François DREYFUSS

Les souvenirs de Hanoucca me reviennent régulièrement, alimentés par les écrits du Grand Rabbin WARSCHAWSKI et par le truculent livre d’Alain KAHN 350 expressions judéo-alsaciennes. Quand la date approche, j’entends parler mes parents et grands-parents et resurgit la fête en famille, toutes générations confondues. Favorisée par la nuit qui tombe tôt, le froid souvent présent et par les soirées passées à l’intérieur de la maison.

Qu’en reste-t-il quelques dizaines d’années après ? La mémoire n’est pas figée, elle est sélective et influencée donc soumise au doute qui relativise sa construction. Il n’empêche, les flashs demeurent.

Les adultes, avec les voisins coreligionnaires, jouaient aux cartes, au Klopfess, à chaque prise il fallait taper sur la table et au Schwartzpeter, jeu dont je ne me souviens que du nom.

Était-ce une réminiscence involontaire du temps où les Juifs devaient se cacher des Romains en faisant semblant de jouer ? Je suis sûr qu’ils n’y pensaient pas ! Les enfants se couchaient plus tard que d’habitude et se concentraient, munis de Chocola Thaler – pièces de monnaie factices, fourrées au chocolat – pour voir de quel côté allait tomber la toupie, le drenderle ou dreidel. Frappée respectivement sur chacun de ses quatre côtés par נ, ג, ה, ש pour Ness, Gadol, He et Chin – « un grand miracle s’est produit là-bas » – l’issue de sa rotation retenait toute leur attention car si c’était Ness –Nichts, il n’y avait pas de gain ; avec Gadol – Gantz on ramassait la mise ; He – Halb c’était la moitié et Chin – Stellen, il fallait consolider, remettre au pot !

Les futurs caractères se dessinaient : accrocheur, généreux, pointilleux…

Le ou la plus jeune allumait les bougies sous l’œil attentif et bienveillant de l’officiant. Elles étaient fixées laborieusement sur une planchette dont on disait qu’elle devait être suffisamment épaisse pour ne pas abîmer le support et, une fois celles-ci consumées, pouvoir être réutilisée l’année suivante. Il n’y avait pas de Hanoukia. Suivait le « Mo aussour » généralement accompagné de commentaires ironiques sur la qualité des voix respectives car toujours mieux – ou plus mal – entonné par l’un ou par l’autre !

Toute cette énumération classique et un peu naïve ne clôt pas la mémoire. Elle devient sélective avec le temps et d’autre images réelles ou virtuelles apparaissent. Trois réalités plus ou moins complètes me viennent à l’esprit : les pots de grès, l’oie et les sabots du grand-père de Westhouse, Wesh en alsacien.

Posés dans la cuisine ou la cave, les pots contenaient les parties transformées de l’oie. Les cuisses étaient cuites dans l’eau pour qu’en exsude la graisse qui permettait leur conservation. Le cou, la carcasse et le reste servaient aux préparations culinaires dont j‘étais bon consommateur. Le foie, lui, était gardé ou rendu dans sa graisse. Mention spéciale pour la peau grillée sur le fourneau : les fameux Griwe. Nous dégustions aussi les Zemmetschnett, pain perdu à la cannelle et au sucre, à ne pas confondre avec les beignets consommés à Pourim.

À la question posée ou non au grand-père, de savoir pourquoi il ne mettait pas de chaussures comme nous, il répondait en judéo alsacien : « Die Gentz gueïn ar barfissi ». Les oies aussi marchent pieds nus. Évidemment c’était une métaphore de la simplicité, reflet imagé de la vie d’alors.

La référence à l’huile du miracle était constante à défaut d’être consciente. On mangeait des aliments frits dans l’huile, les Griwe et Zemmetschnett déjà cités et les Grumberekechle, galettes de pommes de terre. Tout baignait dans l’huile (!) et était signifiant. Nous ne le savions pas encore mais le lien entre la fête et l’éducation était établi.

Cela se passait à Saverne, à Benfeld où il ne reste que peu de Juifs et chez le trisaïeul à Westhouse où il n’y en a plus.

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