Échos&Unir n°325 – Amour et crainte de D.ieu dans la pensée du Maharal de Prague

Joseph ELKOUBY, Amour et crainte de D.ieu dans la pensée du Maharal de Prague, Éditions du Cerf, 2024

Par Jean Claude BAUER

Je voudrais, dans ce court article, vous livrer quelques impressions de lecture à propos du livre de M. Joseph ELKOUBY, paru aux éditions du Cerf et préfacé par M. Roland GOETSCHEL : « Amour et crainte de D.ieu dans la pensée du Maharal de Prague ».

Parcourant ce livre j’y ai trouvé un bon rendu de la pensée originale, et dense, du Maharal de Prague. Les principaux axes de réflexion sont abordés et la singularité marquée du Maharal par rapport à la philosophie médiévale et au rationalisme bien évoquée.

Comme le dit joliment Joseph ELKOUBY, p 211, à propos des connaissances et sciences profanes : « Le Maharal, très subtil, ajoute cependant quelques nuances, et émet quelques réserves, qui limitent le rôle de la connaissance (profane) et la remettent à sa place véritable… ». Les sciences, même si elles ouvrent des champs d’interrogation et d’étonnement immenses, n’amènent pas par elles-mêmes à l’éternité, il y faut la « Crainte du Ciel », une approche intérieure profonde du monde comme réel ordonné, c’est-à-dire mis en ordre, par la Thora. La Thora, comme Parole révélée, dévoile « l’ordre du monde », le « sédèr ha-olam», c’est-à-dire les structures de vie profondes de la création et des créatures, telles que les a pensées et voulues le Créateur. Autre point relevé dans le Livre, parmi tant d’autres : la démarche puissante du Maharal qui, s’appliquant à donner une lecture pénétrante des termes de la tradition Talmudique, pense le D. d’Israël comme un Sujet agissant de sa pleine et libre Volonté, et non comme un être asservi à la Nécessité, ce que Joseph ELKOUBY nomme (p. 211) « un D. personnel » et que nous nommerons sujet. 

Chacun peut entrevoir l’enjeu fondamental de liberté qui découle de cette lecture du Maharal, qui s’écarte ici de manière très tranchée d’une certaine philosophie rationnelle, comme il l’explicite lui-même dans le Béer Hagolah (4ème puits, page 53). Un autre aspect fondamental, bien rendu tout au long de ce livre, est le mode d’approche développé par le Maharal dans la lecture des textes midrachiques et aggadiques, mode qu’il va systématiser fortement tout au long du Béer Hagolah, le Puits de l’Exil, à savoir la compréhension de tous ces textes, souvent très déconcertants, comme autant de métaphores ou d’allégories, que le Maharal nomme « machal ou-melitsat H’akh’amim », langage allégorique des Sages qui ne saurait en aucun cas être lu au premier degré et dont il faut traduire avec rigueur chaque élément. Sur ce dernier point le Maharal juge nécessaire d’aller plus loin que le Rambam, Maïmonide, comme il s’en explique clairement au début du quatrième Puits du Béer Hagolah. « Les Sages nous entretiennent de l’essence » dit Joseph Elkouby (page 252), traduisant en ces termes un enseignement fondamental sur lequel revient souvent le Maharal, dans le Béer Hagolah tout particulièrement : « essence » traduit ici le mot « Mahout » du Maharal, le « Mah » profond, le « quoi » essentiel : ce dont il s’agit en vérité. Comme dans la question des fils à Pessah’ : « Mah ? », de quoi s’agit-il au juste ? Le quoi pose la question de ce qui est caché, la réponse au quoi, la Mahout, ne peut se déployer pleinement que dans l’allégorie. Précisons que cette dimension métaphorique traverse aussi le champ de la Halakh’a contrairement à une idée reçue. Enfin il y aura lieu de souligner la particulière richesse des annexes du livre sur les grands axes de la pensée du Maharal.
Bien sûr la langue occidentale universitaire n’est pas la plus adaptée pour traduire de manière juste les concepts maharaliens qui, faut-il le rappeler, sont des concepts talmudiques, lesquels résistent de toute leur complexité, de tout leur « corps », aux tentatives de synthèse et de systématisation universitaires. Aussi le texte de Joseph ELKOUBY laisse-t-il parfois apparaître les limites de l’approche universitaire. Mais l’auteur, et il faut le noter, parvient malgré tout, dépassant cet obstacle de taille, à donner de la démarche maharalienne un aperçu qui, à mon sens, sonne juste.

Ces quelques mots pour dire que ce livre s’avère une précieuse porte d’entrée et une invitation à connaître mieux la démarche, novatrice à maints égards, du Maharal. En avertissant bien sûr des limites inhérentes à toute traduction, et compte tenu surtout du prisme déformant que ne manque de constituer le passage de l’horizon talmudique vers l’horizon universitaire, je ne peux que recommander vivement la lecture de ce livre, comme invite à se confronter au corps du texte hébreu.

Recevez notre newsletter