Échos&Unir n°325 – Le dépassement

Le dépassement

Par le Pôle Solidarité du Consistoire Israélite du Bas-Rhin

Cette rubrique sera pour nous l’occasion d’aborder une réflexion qui sera traitée sous différents angles. Pour les fêtes de Hannoucca nous vous proposons une réflexion partagée sur le dépassement en faisant appel à un kinésithérapeute et coach et un Rabbin. Hannoucca est le symbole du miracle d’une part et du dépassement par la victoire militaire inespérée des Maccabim.
Le coach a posé neuf questions au Rabbin, le Rabbin a posé neuf questions en retour au coach.

Questions pour Gabriel BITTON, kinésithérapeute et coach

• Le coaching se développe de plus en plus. Est-ce un culte du corps ou un souci de bien-être ?

Le coaching semble s’adresser à des personnes qui veulent améliorer leur forme physique et mentale. Le terme culte du corps me semble donc réducteur.

• Pour un coach le bien-être de l’esprit est-il un moyen ou le but ultime ?

Lors d’une activité physique le corps sécrète des endorphines. Ce qui procure un bien-être évident. Cela dit, le dépassement de soi ou la recherche de performance sont des buts bien différents mais bien existants.

• On entend tout et n’importe quoi : combien de repas faut-il manger par jour ?

Tout dépend de l’objectif recherché : pour faire simple, il faut espacer son alimentation d’au moins quatre heures et idéalement six heures. Il faut écouter son corps et manger quand on a vraiment faim. Le corps est une « machine intelligente », sauter un repas ou même jeûner n’est jamais mauvais bien au contraire !

• Pensez-vous que les habitudes alimentaires de la communauté prennent en compte les défis d’une hygiène nutritionnelle exemplaire ?

Je ne sais pas si j’en ai un, mais j’utilise mon joker…

• Comment adapter un plan nutritionnel avec les jours de Chabbat, fêtes, les Kiddouchim etc. ?

Le plus important est de s’astreindre à pratiquer une activité physique par jour.

• Avez-vous des astuces pour garder un niveau d’énergie stable et une alimentation saine lors des jours de fêtes où l’on passe beaucoup de temps à table ?

Éviter les sucres (glucides) sous toutes leurs formes) , les mauvaises graisses et privilégier les protéines.

• Peut-on dissocier le corps et l’esprit ?

Le corps a besoin de l’esprit pour fonctionner. L’esprit a besoin du corps en bonne santé pour fonctionner correctement également.

• L’effort du corps est-il comparable à l’effort de l’esprit ?

Ces deux éléments interagissent de manière complémentaire.
Bien souvent l’athlète lors de la réussite ou l’échec d’une performance explique que “cela s’est joué au mental”. Pourtant sa performance était purement physique !

• Faut-il manger pour vivre ou vivre pour manger ?

Bien évidemment, il faut manger pour vivre cela dit il ne faut pas négliger la notion de plaisir qui a toute son importance. Le plus important étant de toujours respecter la juste mesure…

Questions pour le Rabbin Ariel REBIBO

• Que recommande la Torah concernant le corps ?

Avant de commencer je dois préciser qu’il n’existe pas une vision unique du Judaïsme, quel que soit le sujet abordé. Les réponses que je vais apporter reflètent mes lectures et mes compréhensions personnelles et n’excluent pas d’autres conceptions juives.
Le corps est considéré comme un don divin et doit être respecté. Que l’on pense par exemple aux interdictions de se mutiler ou de se tatouer, elles ont une raison essentiellement religieuse, mais nous enseignent également que le corps ne nous appartient pas. Il est « mis à notre disposition » pour que ne puissions servir D.ieu de la meilleure manière. Que l’on pense au shabbat ; une des dimensions du shabbat est simplement le repos du corps. Et une des obligations du shabbat est celle du « ‘oneg » du plaisir corporel.
En se basant sur la Torah, nos Sages nous recommandent de prendre soin de notre corps, de veiller à notre santé et d’éviter les comportements à risque. « Ce qui est dangereux pour le corps est plus grave qu’un interdit de la Torah. » nous enseignent nos Sages. Ils discutent de l’obligation de chercher des soins médicaux et de suivre les conseils des médecins. Ils nous enjoignent également de faire attention à notre alimentation, pas seulement pour des raisons de cacherout.
Maïmonide, un des plus grands maîtres de la halakha et qui était également médecin, recommande l’exercice régulier pour maintenir sa santé physique et mentale.
Ce respect du corps perdure après la mort. La Torah ordonne d’enterrer même le condamné à mort avant la nuit, alors que jusqu’à aujourd’hui, dans certains pays, le condamné est exhibé au mépris de l’humiliation qui est faite au corps humain.

• Que recommande la Torah concernant l’esprit ?

Il est difficile de déterminer ce que signifie le mot « esprit ».
Il est évident que l’essentiel de la vie juive n’est pas dirigé vers un soin du corps et ses plaisirs ou par ses expressions par le sport et l’art.
C’est l’étude et la pratique de la Torah qui doit constituer l’essentiel de nos occupations et que l’on doit « méditer jour et nuit ». L’étude n’est pas seulement un apprentissage de nos obligations et de nos interdits. Elle constitue par elle-même le moyen de notre attachement au divin.
La prière également, rituelle et quotidienne ou spontanée et exceptionnelle, nous relie à D.ieu.
Notre conduite en société, notre comportement moral et le travail sur nos caractères et notre personnalité doivent être dirigés dans un idéal d’éthique et de sainteté. Justice, Bonté, Respect d’autrui, Amour, Humilité, Maîtrise de soi, Joie et Sagesse sont autant de qualités que doit rechercher un fils ou une fille d’Israël.
Sur cette question, je n’entre pas dans les considérations mystiques, très importantes dans la pensée juive mais je ne connais pas.

• Certains Rabbins comme Baba Salé ne mangeaient qu’une fois par semaine, uniquement le shabbat. Qu’en pense-le judaïsme ?

Bien que le jeûne soit une pratique courante dans le Judaïsme, notamment lors de Yom Kippour et d’autres jours de jeûne, il est généralement limité à des périodes spécifiques et n’est pas destiné à être une pratique quotidienne. Le jeûne est vu comme un moyen de purification spirituelle et de réflexion, mais il doit être pratiqué avec prudence.
Rabbi Yehouda Halévi, grand penseur espagnol, a fortement critiqué ceux qui pensent que le service divin nécessite des privations et des souffrances. Il explique même que cela entraîne chez eux des problèmes psychologiques, des délires, qu’eux-mêmes ou ceux qui les suivent prennent pour des expressions d’une vie mystique.
Des figures spirituelles comme Baba Salé sont vues comme des exceptions. Ces pratiques sont généralement associées à des niveaux élevés de spiritualité et de dévotion, et ne sont pas recommandées pour la majorité des gens.

• Dans le Judaïsme, nos habitudes alimentaires sont-elles obligatoires ou pouvons-nous les changer ?

Il existe des règles alimentaires strictes auxquelles on ne peut déroger que pour des raisons de santé.
Par contre, les coutumes acquises au fil du temps par les communautés ou les pratiques personnelles peuvent évoluer. Les habitudes d’une personne ne l’enferment pas. Nous sommes libres de transformer notre personnalité et nos habitudes.

• Dans le Judaïsme, la santé du corps est-elle nécessaire pour l’accomplissement des mitsvot ?

Absolument. Nous en avons donné des exemples précédemment. Il est difficile de se concentrer sur l’étude de la Torah ou la prière si l’on est malade ou affaibli. De même pour l’ensemble des mitsvot.
La santé du corps est également considérée comme une mitsva en soi.

• Dans le Judaïsme, peut-on dissocier le corps et l’esprit ?

Le corps et l’esprit me paraissent intimement liés et indissociables. Une corps sain est nécessaire à la santé physique et psychique. De notre vivant, les mitsvot sont des réalisations de l’union du corps et de l’esprit, et, après la mort, la foi en la résurrection, que je ne prétends certainement pas comprendre, exprime encore l’idée d’une indissociabilité du corps et de l’esprit.

• Dans le Judaïsme, l’effort du corps est-il comparable à l’effort de l’esprit ?

Maïmonide utilise cette comparaison pour expliquer la nécessité d’une progression graduelle dans l’apprentissage de la connaissance. Un objectif physique ou sportif, un art manuel quelconque et une technique ne peuvent s’acquérir qu’au prix d’une discipline, de régularité, de progression, d’exercices, de répétitions et de continuité. Il faut pousser l’effort à son maximum mais sans dépasser ses limites au risque de se blesser et de perdre ses acquis. Il est nécessaire d’avoir de la confiance en soi mais sans se croire supérieur à ses réelles capacités. Il en va de même des efforts intellectuels, de l’apprentissage d’une connaissance ou du travail pour changer un défaut de sa personnalité et acquérir une qualité morale. Car c’est encore notre corps, notre cerveau et nos sensations qu’il faut maîtriser, canaliser, diriger, développer et sublimer dans un travail de l’esprit. Rien de bien ne se réalise sans effort d’une part et sans limite d’autre part.

• Dans le Judaïsme, faut-il manger pour vivre ou vivre pour manger?

Vivre pour manger !? Pour tirer uniquement profit de la réalité matérielle ? Cette idée paraît à l’opposé du Judaïsme. Le corps est au service du Bien que l’on doit accomplir, tel est le but de notre vie. Tout en respectant le corps et ses plaisirs, la Torah nous éduque à ne pas sombrer dans le culte du corps ou à se complaire dans une société de consommation. Pourtant, n’est-ce pas à vivre pour manger de tous les arbres du jardin que l‘humain était destiné, en s’interdisant de manger de l’arbre de la connaissance. Le shabbat, n’est-il pas un temps réservé aussi à vivre pour manger ? Il me semble qu’il existe un idéal de l’harmonie du corps et de l’esprit dans lequel manger pour vivre revient à vivre pour manger. Il ne faut pas prendre l’idéal pour la réalité immédiate.

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