Échos&Unir n°325 – Le baptême ou la mort

Le baptême ou la mort, Textes hébreux établis et traduits par le Grand Rabbin émérite René GUTMAN et présentés par Aude-Marie CERTIN, Éditions de l’Éclat, 2024

Par le Professeur Freddy RAPHAËL

C’est sous ce titre clivant que le Grand Rabbin René GUTMAN publie la traduction, en partie inédite, de chroniques et de poèmes liturgiques hébraïques relatant les massacres des Juifs dans l’espace rhénan lors des premières Croisades (XIe-XIIe siècles). Son étude, qui associe avec une rare exigence l’érudition et l’émotion, est accompagnée du travail rigoureux et stimulant d’Aude-Marie CERTIN, qui est Maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’Université de Haute-Alsace.

À l’appel à la Croisade lancé par le pape Urbain II en novembre 1095, des Chrétiens venus du Nord de la France, d’Allemagne et d’Angleterre traversent la vallée du Rhin. Sur leur passage, ils massacrent des centaines de Juifs, hommes, femmes et enfants, en leur imposant la conversion ou la mort.

« Beaucoup périssent alors, tués au fil de l’épée, d’autres sont convertis de force, et un grand nombre choisissent la voie du martyre et se donnent la mort, refusant de se faire baptiser. Lors de ces suicides collectifs, des pères et des mères décident d’égorger leurs propres enfants avant de se tuer eux-mêmes pour la ʺsanctification du Nom de D.ieuʺ». Ces tueries liées à la première et à la seconde Croisade dans l’axe rhénan firent plus de 5000 victimes, depuis Spire, Worms, Mayence, Cologne, Trèves et Metz, jusqu’à Ratisbonne et Prague.

René GUTMAN a traduit en français, et étudié avec une rare précision, à partir du manuscrit hébraïque conservé à la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg, deux chroniques de la première et de la seconde Croisade (1146). Le souvenir de ces évènements tragiques se transmet également dans les ʺMemorbücherʺ (« Livres de Mémoire ») et des poèmes liturgiques (ʺPiyoutimʺ, ʺSelikhotʺ, ʺGinotʺ et ʺKerovotʺ) qui figurent dans le présent volume.

Les souffrances endurées sont évoquées avec une force poignante, interpellant D.ieu et dénonçant sa passivité, voire sa complicité. « Pourquoi, s’écrie Rabbi Eliézer bar Nathan de Mayence (p.53), la Lune et le Soleil ne se sont-ils pas obscurcis alors que mille trois cents âmes saintes furent assassinées en un seul jour, et parmi elles plusieurs enfants et nourrissons – qui n’avaient commis ni péché ni transgression – combien d’âmes pauvres et chères ? Après cela, peux-tu demeurer insensible, peux Tu garder le silence ? ». C’est le jour même de Chavouot (Pentecôte), l’anniversaire du Don de la Loi, que les Croisés et la populace de Cologne détruisirent la Synagogue, profanèrent les rouleaux de la Torah et les foulèrent aux pieds dans les rues boueuses. « Et ceux-là, Tu ne les punirais pas pour ces actes ? Jusqu’à quand encore vas-Tu regarder les méchants et garder le silence ô Éternel, et regarde comme je suis devenue misérable ».
Ces évènements et leurs tragiques conséquences ont, parfois, été interprétés avec la conviction que D.ieu voulait mettre à l’épreuve cette génération non qu’elle eut failli mais parce qu’elle avait été choisie dans un but d’expiation. « Mais il n’y a pas lieu de contester les voies / De Celui qui est redoutable et terrifiant / Car Sa droiture, nous devons toujours la proclamer. C’est nous qui avons failli, alors que pouvons-nous dire ? » (Ephraïm de Bonn in GUTMAN p.85).
Il convient de souligner, cependant que face aux atrocités commises par les Croisés et leurs alliés citadins, les Chroniques mentionnent également l’aide que les Juifs ont parfois reçue des évêques et de leurs voisins chrétiens qui les abritèrent.

Aussi, malgré l’atrocité des persécutions subies, et qui se sont poursuivies des siècles durant, il nous faut cultiver, malgré tout, « la petite espérance ».

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