Olivier GUEZ, Mesopotamia, Éditions Grasset, 2024
Par François DREYFUSS
À l’évocation du Tigre, de l’Euphrate, de Mossoul, Bagdad, Bassora et de Lawrence d’Arabie, l’imagination s’envole et nous voilà partis avec le dernier livre d’Olivier GUEZ. Du fin fond du Nedjd, au centre de l’Arabie aux marches de l’empire ottoman, de l’aventure individuelle à la rivalité coloniale, ce roman porte l’histoire dans l’Histoire de Gertrude BELL, riche héritière britannique férue d’archéologie et passionnée de politique.
Plutôt que l’Angleterre, cet « univers apaisant aux passions bridées », elle préfère Bagdad qui « fleure le pain chaud, les galettes au sésame et les senteurs musquées de l’Orient » et œuvre pour l’Empire afin qu’il contrôle les champs pétrolifères de Perse et de Mésopotamie.
Gertrude ne supporte pas les vieux garçons qui « piquent les petits pois à la fourchette », repère le bouquet viril des élites impériales : eau de Cologne, tabac, gin et cuir tiède ; partage en partie les desseins de Lawrence mais transforme la fiction romantique en réalité géopolitique.
Sous l’autorité de CHURCHILL, secrétaire d’État aux colonies, « petit homme rubicond dont un coup de soleil fait ressembler le visage à un gâteau sorti du four », elle observe d’un côté les Hachémites, les Saoud et les Rachid de l’autre qui se disputent depuis des siècles les déserts d’Arabie. Elle aide Fayçal, prince hachémite, émir sunnite, originaire d’Arabie occidentale à devenir en 1921, bien qu’évincé de Syrie, le premier souverain à régner sur un pays étranger à majorité chiite sous le nom de Fayçal Ier roi d’Irak. L’Orient compliqué…
Mais Gertrude n’est pas heureuse, l’homme qu’elle aime ne veut pas d’elle ; elle quitte Damas, « s’enfonce dans ces contrées implacables infestées de serpents et de scorpions » et mange du « mouton coriace assaisonné de beurre rance », mais constate, lucide, que les « Saoud sont l’avenir de l’Arabie centrale, les Rachid n’étant que des tyrans cupides et dégénérés ».
Les contours du Proche Orient post ottoman se dessinent, à 57 ans elle « rentre » à Bagdad. « La femme aux semelles de vent s’est engourdie », mais « l’air est encore tiède et l’aube enjôleuse ».